Devenir un thérapeute de confiance : comment les biais cognitifs peuvent affecter votre pratique

A retenir :

  • Les biais cognitifs sont humains et touchent chacun de nous sans exception
  • Ils permettent au cerveau de conserver de l’énergie, incapable de traiter toutes les informations à chaque instant
  • Effet de halo : lorsque notre première impression colore l’ensemble de notre perception, nous risquons de passer à côté de certaines dimensions de la personne, en interprétant ses comportements à travers ce filtre initial.
  • Effet pygmalion : en cultivant des attentes positives vis-à-vis d’une personne, nous pouvons inconsciemment influencer son parcours et ses progrès, renforçant sa confiance en lui et ses résultats dans le temps.

En tant que thérapeute, comprendre profondément son client ou patient va bien au-delà de la simple écoute de ses mots. Il s’agit d’entrer dans sa vie, de percevoir les nuances de son comportement et de ses émotions, souvent influencées par des processus inconscients que même lui ne soupçonne pas. C’est là que les biais cognitifs entrent en jeu : des filtres inconscients par lesquels chacun interprète la réalité. D’ailleurs, Ces biais peuvent autant affecter le jugement des patients-clients que les thérapeutes.

Avez-vous déjà entendu parler de biais cognitifs ? Ces phénomènes naturels résultent d’un mécanisme de notre cerveau visant à optimiser notre énergie : en effectuant des approximations, notre cerveau nous aide à naviguer dans un monde complexe et chargé d’informations. Mais lorsque ces raccourcis mentaux prennent le dessus, nous risquons de dévier de la pensée rationnelle, influençant nos jugements et nos comportements. Pour mieux illustrer ce phénomène, explorons deux biais bien connus, l’effet de Halo et l’effet Pygmalion, avec des exemples concrets pour comprendre leur impact.

L’effet de halo : au-delà de la première impression

L’effet de halo, aussi appelé effet de contamination, intervient lorsqu’une première impression — positive ou négative — influence nos perceptions à propos d’une personne. En thérapie, ce biais peut se manifester sans que l’on s’en aperçoive. Imaginons, par exemple, un thérapeute qui rencontre pour la première fois une nouvelle patiente, élégante et calme, qui s’exprime avec assurance. Sans s’en rendre compte, le thérapeute peut associer à cette première impression d’autres qualités, comme l’intelligence ou la stabilité émotionnelle, même si rien ne le prouve.

Pourtant, quelques séances plus tard, cette patiente révèle qu’elle lutte avec des insécurités profondes et une grande anxiété. Le thérapeute réalise alors que son jugement initial avait limité sa capacité d’écoute authentique. L’effet de Halo l’avait incité à interpréter les paroles de sa patiente-cliente en fonction de cette première impression, bloquant ainsi une compréhension plus nuancée de la réalité.

Cet effet a été mis en évidence par le psychologue Edward Thorndike au 20e siècle, qui a montré que nous avons tendance à associer inconsciemment des qualités positives à une personne que l’on perçoit favorablement au premier abord. Que ce soit en thérapie ou dans la vie quotidienne, être conscient de ce biais peut nous aider à accueillir l’autre avec un esprit plus ouvert, sans anticiper ce que nous aimerions qu’il soit.

L’effet Pygmalion : le croire pour le voir

L’effet Pygmalion tire son nom de la mythologie grecque, dans laquelle le sculpteur Pygmalion tombe amoureux de la statue parfaite qu’il a lui-même créée, lui donnant vie par la puissance de son amour et de ses attentes. Ce biais montre à quel point les attentes d’une personne peuvent inconsciemment influencer les résultats et la réalité d’autrui.

En thérapie, cet effet peut se manifester subtilement. Prenons l’exemple de Marc, un thérapeute expérimenté, qui accueille Yves, un jeune praticien stagiaire plein de potentiel mais intimidé par l’ampleur de la tâche. Si Marc le thérapeute, sans même s’en rendre compte, nourrit des attentes élevées et lui exprime des encouragements sincères, le jeune Yves pourrait ressentir un gain de confiance qui l’aide à surmonter ses doutes. Cette attitude bienveillante crée un environnement favorable, et le jeune Yves réussit au-delà de ses espérances.

L’effet Pygmalion a été confirmé par une étude de Rosenthal et Fode, dans laquelle des étudiants étaient persuadés que certains rats étaient des coureurs rapides et d’autres lents. Ces attentes, bien que basées sur des informations fictives, ont modifié la manière dont les étudiants traitaient les animaux, et les résultats qui en ont suivi. En salle de classe, Rosenthal et Jacobson ont ensuite montré que lorsque des professeurs croient que certains élèves sont plus intelligents que d’autres (sans qu’ils le soient), ces élèves finissent par obtenir de meilleures notes, portés par un environnement où leurs enseignants projettent sur eux des attentes positives.

Nos conseils de praticiens à praticiens

Face aux biais cognitifs de Pygmalion et de Halo, il est important de prendre des mesures pour atténuer leur impact et assurer des interactions plus justes et équilibrées. Voici quelques conseils :

  1. Pratiquer l’auto-réflexion : Prenez le temps de réfléchir à vos attentes et à la manière dont elles peuvent influencer vos perceptions et comportements. Soyez conscient que des attentes élevées (biais de Pygmalion) peuvent amener les clients-patients à agir de manière à confirmer ces attentes, tandis que le biais de Halo peut vous amener à juger quelqu’un de manière globalement positive ou négative sur la base d’une seule caractéristique.
  2. Appliquer l’écoute active : L’écoute active permet de réduire les effets de ces biais en encourageant une observation objective et des réponses adaptées. En écoutant sans jugement et en reformulant les propos du client, vous évitez de projeter des attentes ou des impressions initiales.
  3. Utiliser des critères objectifs : Lors de l’évaluation ou de la prise de décision, appuyez-vous sur des critères et des observations concrètes plutôt que sur des impressions ou des jugements subjectifs influencés par le biais de Halo.
  4. Diversifier vos sources de feedback : Sollicitez les avis et les perspectives de vos collègues ou de votre équipe pour contrebalancer vos propres perceptions. Le travail en équipe permet de mieux identifier et de minimiser l’effet des biais cognitifs.
  5. Se former à la détection des biais : Familiarisez-vous avec les biais cognitifs pour mieux les repérer et les limiter. Une formation continue peut vous aider à rester vigilant et à ajuster vos pratiques en conséquence.
  6. Prendre du recul avant d’agir : Avant de poser un jugement ou de prendre une décision, prenez un moment pour réfléchir à ce qui motive réellement votre perception. Cela peut aider à défaire des réactions automatiques influencées par les biais.

En appliquant ces stratégies, il est possible de minimiser l’impact des biais de Pygmalion et de Halo et de favoriser des interactions plus équitables et objectives avec vos clients-patients.

Sources : 

Rosenthal, R., & Fode, K. L. (1963). The effect of experimenter bias on the performance of the albino rat. Behavioral Science, 8(3), 183–189. https://doi.org/10.1002/bs.3830080302

Rosenthal, R., & Jacobson, L. F. (1968). Teacher expectations for the disadvantaged. Scientific American, 218(4), 3-9.

Thorndike, E. L. (1920). A constant error on psychological ratings. Journal of Applied Psychology, 4, 25-29.

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