Dans un monde moderne où le pragmatisme et la rationalité sont érigés en normes absolues, les émotions ont souvent été reléguées au second plan, considérées comme des perturbations qui nuisent à la prise de décision. Imaginez un chirurgien confronté à un cas complexe qui doit faire abstraction de toute angoisse pour agir avec précision, ou un avocat en pleine plaidoirie qui doit masquer toute trace de doute pour paraître implacable. Mais est-il réaliste – ou même souhaitable – de croire que les émotions doivent être éliminées pour exceller ? En réalité, de plus en plus de recherches et d’exemples concrets montrent que la prise en compte des émotions peut être une alliée puissante. Steve Jobs, par exemple, affirmait que son intuition – nourrie par ses émotions – était un guide essentiel dans ses choix visionnaires. Alors, faut-il vraiment se débarrasser des émotions, ou apprendre à les utiliser comme un levier de réussite ?
Sommaire Au cœur de la vie quotidienne : la fonction adaptative des émotions La science a longtemps ignoré la question La recherche | Les découvertes d’Antonio Damasio Les marqueurs somatiques | le corps comme guide émotionnel Quand émotions et cognition s’enrichissent mutuellement Comment peut-on aider nos patients-clients? |
La fonction adaptative des émotions
Les émotions ne sont pas de simples vagues de sensations qui nous submergent et disparaissent aussitôt. Elles sont au cœur de notre quotidien, orientant nos choix, nos actions et nos interactions. Plus que de simples réactions, elles représentent une force motrice, nous indiquant quand agir, comment nous adapter, et quand nous protéger. Une montée soudaine de peur peut nous pousser à fuir un danger, tandis qu’un élan de joie nous relie aux autres, renforçant notre appartenance à une communauté. Bien que leur intensité puisse varier – passant de l’éclair d’une réaction rapide à la profondeur d’un sentiment persistant – elles nous rappellent constamment que nous sommes vivants, sensibles et connectés.
La science a longtemps ignoré la question
Pourtant, pendant des siècles, la science a préféré écarter ces phénomènes « subjectifs ». Considérées comme des obstacles à la rationalité, les émotions étaient perçues comme des faiblesses à maîtriser, voire à ignorer. Mais une approche plus moderne de la psychologie et de la neuroscience a permis de montrer combien elles sont essentielles : loin d’être des interférences, elles jouent un rôle fondamental dans notre capacité à raisonner et à décider.
La recherche | Les découvertes d’Antonio Damasio
Prenons l’exemple des travaux du neurologue Antonio Damasio, qui a étudié des patients atteints de lésions dans les zones du cerveau impliquées dans les émotions. Ces personnes, bien qu’intellectuellement intactes, se trouvaient pourtant incapables de prendre des décisions simples. En l’absence de ressentis émotionnels, elles pouvaient analyser froidement chaque option mais restaient paralysées face à leurs choix, incapables de trancher. Pourquoi ? Parce que les émotions, en nous attachant une valeur affective à chaque possibilité, permettent de hiérarchiser et de sélectionner ce qui a réellement du sens pour nous.
Les marqueurs somatiques | le corps comme guide émotionnel
Damasio propose une explication fascinante : les marqueurs somatiques. Selon lui, notre corps devient une sorte de « récepteur » pour nos émotions, un guide qui oriente nos décisions au-delà des calculs logiques. Ces marqueurs somatiques se manifestent dans notre corps – une accélération du rythme cardiaque, une contraction de l’estomac – comme autant de signaux qui nous aident à naviguer entre les options. Ils créent des repères qui, bien qu’intangibles, nous orientent puissamment dans nos choix, en particulier lorsque le raisonnement seul ne suffit pas.
Quand émotions et cognition s’enrichissent mutuellement
Ainsi, émotions et cognition sont intimement liées : nos sentiments enrichissent nos pensées, et notre capacité de réflexion amplifie notre compréhension émotionnelle. Mais lorsque l’émotion devient trop intense – une colère explosive, une panique incontrôlable – elle peut bien sûr compromettre notre jugement. Cela ne signifie pas qu’il faille la supprimer, mais plutôt apprendre à l’écouter et à la tempérer. En cultivant une relation équilibrée avec nos ressentis, nous devenons plus à même de faire preuve de discernement, en intégrant ce que notre corps et notre esprit tentent de nous communiquer.
Comment peut-on aider nos patients-clients?
Les émotions ne sont pas des ennemies de la raison : elles en sont les alliées. Elles nous rappellent qui nous sommes, ce qui nous importe, et orientent nos vies de façon plus subtile mais plus puissante que ne pourrait le faire la seule logique. Plutôt que de chercher à les dominer, apprenons à les écouter, à les décoder, à leur donner la place qui leur revient. Au cœur de cette écoute réside peut-être la clé d’une vie plus authentique, connectée et humaine.
A retenir :
- Les émotions orientent nos actions et décisions, jouant un rôle essentiel dans notre quotidien.
- Bien qu’elles aient été sous-estimées par la science, elles aident à hiérarchiser nos choix.
- Damasio montre que les émotions se manifestent via le corps (marqueurs somatiques) pour guider nos décisions.
- Vouloir les supprimer est néfaste : les émotions sont nécessaires pour prendre des décisions, ce sont des boussoles à ne pas négliger.
Sources :
Damasio, A. R. (1995). L’erreur de Descartes : la raison des émotions. In O. Jacob eBooks. http://cds.cern.ch/record/1532637