Avez-vous déjà entendu parler du yoga du rire ? Ce concept, qui peut sembler farfelu, affirme qu’en se forçant à rire, on finit par se sentir plus joyeux. En d’autres termes, que l’émotion peut naître d’une action corporelle. Mais est-ce vraiment le cas ? Après tout, on pourrait penser que c’est parce que l’on est triste que l’on pleure, ou parce que l’on est heureux que l’on sourit, l’émotion précédant la réaction du corps.
Et pourtant, dans le cadre d’une séance de massage, il n’est pas rare d’observer l’inverse. Prenons l’exemple d’un praticien qui remarque qu’un client tendu, arrivant avec le visage crispé et le froncement de sourcils typique de l’anxiété, repart souvent après le massage avec des traits visiblement relâchés et une humeur apaisée. En travaillant sur la relaxation des muscles du visage, comme la mâchoire et le front, il n’est pas rare que ce relâchement physique s’accompagne d’un soulagement émotionnel, parfois même exprimé par un léger sourire ou une respiration plus profonde.
Ces observations suggèrent un lien puissant entre le corps et l’esprit, un lien que la thérapie par le massage peut non seulement révéler, mais aussi renforcer. Alors, que se passe-t-il vraiment ? Est-il possible que le corps, à travers ses mouvements ou son relâchement, influence les émotions ?
Sommaire La recherche | Notre coeur nous renseigne La recherche | Sourire et émotion positive La recherche | Botox et expression du visage Théorie des émotions incarnées Conclusion |
La recherche | Notre coeur nous renseigne
Une étude de Borkovec et Glasgow semble montrer l’inverse. Ils ont pris un groupe de personnes, et leur ont présenté des images de serpents tout en écoutant leurs propres battements de cœur. Exposé à ces images, la réaction normale est de ressentir de la peur ainsi que l’emballement du corps qui l’accompagne avec une augmentation du rythme cardiaque. Sauf que, la moitié des participants croyant entendre leurs cœur n’entendaient en réalité qu’un battement régulier. Pensant ainsi que la vision des serpents ne leur procure aucune accélération cardiaque synonyme de la peur, ils acceptent de s’approcher d’autant plus d’un réel serpent que les autres participants.
La recherche | Sourire et émotion positive
Une autre étude de Strack et ses collaborateurs montrent que cet effet se retrouve aussi sur des émotions positives. En demandant à des participants de tenir un stylo entre leurs dents, ce qui induit un sourire, ils ont constaté que ces derniers trouvaient un dessin animé plus drôle que ceux qui tenaient un stylo entre leurs lèvres (ce qui crée une moue).
La recherche | Botox et expression du visage
Que se passe-t-il alors lorsque l’on fige à long terme des muscles qui nous permettent normalement de communiquer une émotion ? Ce phénomène a été mis en lumière par l’étude des effets des toxines botuliques (ou plus communément “botox”). En effet, elles permettent de figer le muscle, empêchant la contraction musculaire et donc la production motrice de l’expression faciale. Lewis a observé que bloquer la glabelle, impliquée dans le froncement des sourcils (expression négative), améliore l’humeur, tandis que figer le muscle orbiculaire (lié au sourire) accroît l’anxiété et la dépression.
Théorie des émotions incarnées
Ces résultats sont interprétés dans le cadre de la théorie des émotions incarnées, où nos émotions ne sont pas seulement des états mentaux mais des expériences objectivées (incarnées) dans le corps, observables par des réponses physiologiques. Nos expériences émotionnelles sont donc façonnées par la manière dont notre corps interagit avec l’environnement. Cette théorie intègre le rôle du corps dans la compréhension des émotions et permet d’aller au-delà de la vision traditionnelle qui sépare les aspects cognitifs et corporels des expériences émotionnelles. Il existe donc une influence mutuelle et dynamique entre le corps et l’esprit. Cela implique que les processus cognitifs et émotionnels peuvent avoir des effets sur le corps, et vice versa.
Darwin lui-même avait émis cette idée en 1872 : “La libre expression par des signes extérieurs d’une émotion l’intensifie”. Bien que ces effets soient de faible ampleur, ils soulignent l’interconnexion entre les aspects cognitifs et corporels.
Conclusion
En conclusion, ces recherches renforcent l’idée d’une interconnexion profonde entre le corps et l’esprit, où nos émotions influencent notre posture et nos expressions, et inversement. Pour un praticien en massothérapie, ces mécanismes ouvrent des perspectives fascinantes : en travaillant sur le relâchement musculaire et l’expression corporelle, il est possible de contribuer à un mieux-être émotionnel chez les clients.
Ainsi, lorsqu’un client arrive tendu et repart le visage détendu, parfois même avec un sourire, ce n’est pas qu’un simple soulagement physique. C’est une illustration concrète de la théorie des émotions incarnées : en libérant le corps, on libère aussi l’esprit. Cela rappelle que dans la pratique du massage, chaque geste est une opportunité de soutenir cette dynamique subtile mais essentielle entre émotions et sensations corporelles.
A retenir :
- Il est faux de penser que le lien entre les émotions et le corps ne va que dans un seul sens. Les émotions ne sont pas seulement mentales, elles sont également façonnées par des réactions physiques et l’interaction du corps avec l’environnement.
- Des recherches ont démontré que manipuler des expressions faciales (sourire forcé, immobilisation des muscles avec du botox) influence l’humeur et les réactions face à des stimuli.
- Il existe une influence mutuelle et dynamique entre notre corps et nos émotions
Sources :
- Borkovec, T. D., & Glasgow, R. E. (1973). Boundary conditions of false heart-rate feedback effects on avoidance behavior : a resolution of discrepant results. Behaviour Research and Therapy, 11(2), 171‑177. https://doi.org/10.1016/s0005-7967(73)80003-8
- Darwin, C. (1872). The expression of the emotions in man and animals. https://doi.org/10.1037/10001-000
- Lewis, M. B. (2018). The interactions between botulinum-toxin-based facial treatments and embodied emotions. Scientific Reports, 8(1). https://doi.org/10.1038/s41598-018-33119-1
- Strack, F., Martin, L. L., & Stepper, S. (1988). Inhibiting and facilitating conditions of the human smile : a nonobtrusive test of the facial feedback hypothesis. Journal of Personality and Social Psychology, 54(5), 768‑777. https://doi.org/10.1037/0022-3514.54.5.768